dimanche 18 mai 2014

Pertinence des soins, inégalités territoriales : la chirurgie de la prostate en question

L'institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) affiche sur son site internet son principal objectif : contribuer à nourrir la réflexion de tous ceux qui s'intéressent à l'avenir du système de santé. Objectif atteint avec cet article intéressant intitulé "la pertinence des pratiques d'hospitalisation : une analyse des écarts départementaux de prostatectomies".

Intéressant, car la question de la pertinence des soins (voir article de mon blog) s'invite de plus en plus souvent sur le devant de la scène, sous diverses appellations (actes inutiles, actes redondants, optimisation des parcours de soins...).

Intéressant, car cet article met en lumière, sur la base de données datant de 2009, les inégalités départementales en termes d'ablation chirurgicale complète de la prostate, et donc de prise en charge du cancer de cette même prostate. Certes, il ne s'agit pas d'une surprise, l'analyse des taux de recours standardisés pour d'autres gestes chirurgicaux montre le même type de disparités, raison pour laquelle le ministère de la santé et l'assurance maladie s'intéressent à la pertinence de ces actes. Pour autant, cet article confirme l'urgence de passer à l'action.


http://www.irdes.fr/recherche/documents-de-travail/059-la-pertinence-des-pratiques-d-hospitalisation-une-analyse-des-ecarts-departementaux-de-prostatectomies.pdf


Intéressant aussi, parce que cette étude a réussi à dégager 1 point clé : l'offre de soins influence directement le taux de prostatectomie : "les départements avec plus d’urologues par habitant sont caractérisés par un taux de prostatectomies plus élevé" (page 10), "une hausse de l’offre hospitalière régionale entrainera une hausse du nombre de prostatectomies dans le département" (page 11). A l'inverse, le niveau de revenus du patient, le taux de mortalité par cancer de la prostate, le taux de dosage de PSA ou la répartition public/privé de l'offre de soins n'influencent pas ce taux.

Intéressant enfin, car les variations de taux de recours interrogent directement les pratiques professionnelles. Comme le précise la conclusion de cet article (page 12) : "il ne faut pas oublier qu'in fine la pertinence des soins médicaux est sous la responsabilité des médecins. Investir, avec les professionnels de santé, sur les recommandations cliniques afin de promouvoir une plus grande cohérence des pratiques médicales est nécessaire pour les rapprocher. L’information est également capitale pour aider les patients à prendre des décisions plus éclairées sur les interventions qui les concernent". Très pertinent !

Deux points faibles à retenir cependant : les taux de recours sont calculés à partir de données un peu anciennes (2009) pour un article paru en 2014 (la base PMSI permet d'extraire des données chaque année) ; de potentiels facteurs de risque individuels (notamment génétiques) et environnementaux de cancer de la prostate pourrait en partie expliquer les variations inter-départementales des taux de recours (cet aspect n'est pas évoqué dans la discussion).

dimanche 11 mai 2014

Le DPC décortiqué par l'IGAS : vers une simplification ?

L’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a publié en avril 2014 un rapport concernant le développement professionnel continu (DPC).

Premier constat, le titre de ce rapport est un peu confus : « Contrôle de l’Organisme gestionnaire du développement professionnel continu et évaluation du développement professionnel continu des professionnels de santé ». Contrôle ? Évaluation ? Organisme gestionnaire (OGDPC) ou dispositif complet ? Au final, un peu tout cela. Si la commande ministérielle (lettre de mission datée du 1er juillet 2014, page 61 du rapport) était de contrôler l’OGDPC, les inspecteurs ont rapidement constaté qu’ils ne pouvaient s’intéresser qu’au sommet de l’iceberg. Le champ de leur mission a donc été élargi.

Deuxième constat, le sujet est tellement complexe (voir infographie ci-dessous, source : site de la Haute Autorité de Santé) que la mission d’inspection propose 4 scenarii différents, allant du maintien du système actuel avec quelques retouches à sa suppression quasi-complète… Toutefois, les inspecteurs affichent leur préférence pour un scenario « intermédiaire ».

http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1288556/fr/developpement-professionnel-continu


Troisième constat : les auteurs de ce rapport semblent peu au fait des notions d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), pourtant au cœur du DPC. Le rapport est essentiellement construit sur une vision de ce que pourrait être la formation des professionnels de santé ; or, dans le cadre d’un DPC efficient, pas de formation sans EPP…

Voici une synthèse des principales problématiques soulevées par ce rapport :
  • Obscurité du dispositif pour les professionnels de santé : absence de définition légale du contenu d’un programme de DPC, organisation insuffisante des sanctions en cas de non satisfaction de l’obligation, procédures différentes en fonction de la profession (ordre professionnel ou non) et du mode d’exercice (libéral, salarié en établissement) voire absence de procédure claire salarié hors établissement), système d’information mal calibré et site internet peu lisible ;
  • Gestion administrée trop bureaucratique : multiplicité des pilotes au niveau de l’OGDPC (Direction Générale de l’offre de soins, direction de la sécurité sociale, cabinet du ministère), lourdeur des procédures d’enregistrement pour les organismes de DPC, contrôle insuffisant de la qualité des prestations (au moment de l’enregistrement et dans les années qui suivent), situations de monopôle de certains organismes allant à l’encontre du principe de libre concurrence ;
  • Financement inadapté : enveloppe globale sous-dimensionnée au regard des besoins (coût intégral estimé à plus d’un milliard d’euros), multiples sources issues de la fusion de dispositifs antérieurs, impossibilité de recourir à des fonds privés ;
  • Manque de transparence : fréquents liens d’intérêts entre les membres des différentes instances et les organismes de DPC (dont ils sont parfois salariés), déclaration publiques d’intérêts collectées de manière non exhaustive, absence de réelle gestion des conflits d’intérêts (faire en sorte qu’un décideur ne prenne pas part à une décision concernant un organisme avec qui il est en lien).

Sur la base de ce constat, voici quels sont les 4 scenarii envisagés :
  1. Maintien et amélioration du dispositif actuel : DPC obligatoire, défini par ses objectifs, financé sur fonds publics, géré par un organisme administratif sur avis des professionnels et commun à l’ensemble des professions de santé tous statuts et mode d’exercice confondus. Les inspecteurs recommandent dans ce cas certains ajustements : recalibrer les financements sur la base d’une taxe unique à l’assiette élargie, rendre effective l’obligation de DPC (clarifier la notion d’insuffisance professionnelle) tout en assouplissant de la période d’obligation (triennale et non plus annuelle), réorienter les moyens humains de l’OGDPC vers l’évaluation de la qualité des programmes mis en place par les organismes de DPC (au moment du dépôt de dossier et lors de contrôles a posteriori), mener une réflexion sur les financements privés tout en garantissant l’indépendance des programmes de DPC.
  2. Un OGDPC pilote mais une gestion déléguée : l’activité de l’OGDPC serait ainsi recentrée sur la répartition des financements entre les différents organismes collecteurs, qui assureraient l’ensemble des autres missions, exceptées la gestion de la qualité (évaluation a priori des organismes et le contrôle a postériori des programmes) et l’information des professionnels. L’OGDPC pourrait également piloter la mise en œuvre de programmes pluriprofessionnels, intersectoriels, sur la base de priorités de santé publique, en procédant par appel d’offre.
  3. Un DPC recentré sur les connaissances critiques, c’est-à-dire la sécurité des soins, socle minimal mieux proportionné aux capacités budgétaires actuelles. Les programmes de DPC reposeraient sur des « modules de formation très courtes assurant une actualisation minimale des connaissances compte-tenu des progrès récents de la médecine ».
  4. Une application du droit commun de la formation : cette solution supprimerait l’obligation légale du DPC au profit d’une obligation déontologique de « formation et d’actualisation des connaissances ». L’OGDPC (et ses commissions) et le financement public du DPC seraient supprimés. Le financement serait assuré, pour les libéraux, par des points de ROSP (rémunération sur objectifs de santé publique) et/ou une autorisation de majoration de tarif (par exemple de 0,50€ par acte) ; pour les salariés dans le cadre des plans de formation, avec un lien vers la certification HAS dans les établissements de santé.

Le scenario n°1 propose une version faiblement retouchée voire complexifiée ; dans le même temps, les scenarii n°3 et 4 sont essentiellement basés sur une approche formative et minimaliste du DPC, renvoyant l’EPP dans un placard déjà plein de dispositifs non aboutis…

Il n’est donc pas étonnant que le scenario n°2 soit privilégié par les auteurs de ce rapport : il a l’avantage de conserver les grands principes du DPC (obligatoire pour tout professionnel et indépendant, méthodes élaborées par la HAS) tout en réorientant l’OGDPC vers de vraies missions de pilotage (délégation de la gestion des fonds, qualité du dispositif, guichet unique d’information des acteurs). La question du financement reste malgré tout problématique : un sous-financement chronique nuirait à la qualité du dispositif, tandis qu’une ouverture à un financement privé nuirait à l’indépendance du DPC…

lundi 5 mai 2014

Propositions du CISS pour améliorer la santé de « 66 millions d’impatients »

Le Collectif Interassociatif Sur la Santé (CISS) regroupe 40 associations intervenant dans le champ de la santé : créé en 1996, le CISS se positionne comme un interlocuteur crédible représentant et défendant les intérêts communs à tous les usagers du système de santé, au-delà de tout particularisme.




Souhaitant peser sur le contenu de la future loi de santé (prévue pour le 2e semestre 2014), le CISS vient de publier « 30 propositions, pour une révolution en marche avec les patients ». Ces propositions sont basées sur le constat suivant (page 2) : « si l’on doit se féliciter que le gouvernement ait décidé de mettre en place une stratégie nationale de santé, les associations membres du CISS ne peuvent se satisfaire du document  mis en circulation à ce titre par les pouvoirs publics le 23 septembre 2013. Nous attendons des changements plus puissants : plus de santé publique, plus d’effectivité dans l’accès aux soins et plus de transparence ».

Voici une synthèse des principales propositions (à visée populationnelle) contenues dans le document en question :

Axe 1 / Promotion de la santé : la nouvelle ère !
  • Renforcer les dispositifs actuels de contractualisation au profit de la prévention : rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) négociée entre les médecins traitants et l’assurance maladie (AM), contrats d’amélioration de la qualité et de la coordination des soins (CAQCS) entre les établissements de santé, l’agence régionale de santé (ARS) et l’assurance maladie.
  • Créer des « Espaces d’information et d’orientation en santé (EIOP) » dans les territoires, financées par les agences régionales de santé et conçues comme de véritables délégations à des consortium d’acteurs publics et/ou privés, notamment les associations, permettent d’informer la population sur la prévention, l’offre en santé et les droits sociaux.
  • Revoir les financements de la prévention et de la promotion de la santé pour qu’ils constituent au minimum 10% du budget des ARS (contre environ 5% actuellement).

Axe 2 / Accès aux soins : plus d’effectivité !
  • Sur le plan financier > opérer une révision générale des tarifs des actes de soins pour qu’ils soient payés et remboursés à leur juste prix ; mettre fin aux franchises médicales et à la participation forfaitaire de 1 euro ; mettre en œuvre un plan national quinquennal d’optimisation des dépenses de santé dans les domaines déjà identifiés : inadéquations hospitalières, évènements indésirables graves liés aux soins, iatrogénie, lutte contre les soins inutiles.
  • Sur le plan organisationnel > créer des centres d’accompagnement pour l’autonomie en santé (CAAS), à l’initiative des associations de patients et/ou des services de santé, pour proposer aux patients qui le souhaitent des actions d’information, d’orientation, de prévention, d’accompagnement et de soutien psycho-social rendues nécessaires dans le cadre de leurs parcours de santé.

Axe 3 / Démocratie en santé : un vrai pilier, pas une béquille !
  • Renforcer la place de la commission des usagers des établissements de santé, en l’impliquant activement dans l’élaboration du volet « Qualité-Sécurité-Accueil » du projet d’établissement.
  • Renforcer l’implication des représentants des usagers, notamment au sein d’instances nationales, comme le collège de la Haute Autorité de Santé (HAS), le comité économique des produits de santé (CEPS), ou la commission de la transparence, pour limiter les risques de crises sanitaires.
  • Financer les associations d’usagers à hauteur de 0,04% du budget des établissements de santé (soit environ 30 millions d’euros contre 3 millions à ce jour), au nom de l’intérêt général, dans le cadre d’un fonds autonome au sein de l’assurance maladie.

Création de structures, financements à dégager : ces propositions ne manqueront pas de poser question en termes de faisabilité… le CISS en a d’ailleurs conscience puisque la conclusion du document (page 11) est la suivante : « Ce positionnement pourra apparaître aux yeux de certains comme disproportionné dans un contexte de contraintes financières majeures. Comme nous l’avons fait remarquer, nous dépensons à tort. Il suffit donc de se montrer rigoureux sur les dépenses inutiles pour redéployer des moyens vers la santé publique, l’accompagnement de ceux qui le réclament et la juste représentation des intérêts des usagers dans la décision publique en santé ».

jeudi 1 mai 2014

Juste prix des médicaments : pour une prise de décision basée sur la transparence et l'efficience


Source : site du commissariat général à la stratégie et à la prospective


Mais pourquoi s'intéresser aux prix des médicaments ? Avant tout parce les dépenses publiques de médicaments s'élèvent à 27 milliards d'euros en 2012 ; pour les ménages, les médicaments représentent plus d'un tiers de leurs dépenses nettes de santé (poste de dépenses le plus important). Le besoin de régulation est donc majeur. Cependant, cette régulation se heurte à un des enjeux contradictoires pour les pouvoirs publics, qui doivent à la fois :
  •  permettre l'accès pour tous à des médicaments sûrs et efficaces ;
  • soutenir une industrie pharmaceutique créatrice d'emplois et de croissance ;
  • limiter les dépenses publiques.

Le prix doit traduire la valeur économique du médicament

L'infographie ci-dessous décrit le processus de fixation du prix d'un médicament ayant obtenu son autorisation de mise sur le marché (source : site du commissariat général à la stratégie et à la prospective).




La négociation entre l'industrie pharmaceutique et le Comité Économique des Produits de Santé (CEPS) porte essentiellement sur l'amélioration du service médical rendu, les prévisions de vente en volume, les prix des molécules de la même classe et les prix dans les pays voisins (s'ils sont connus). Problème, comme le précise la note de synthèse (page 7) : "Dans le système français, le progrès thérapeutique, même mineur, est récompensé : on observe ainsi des écarts de prix, parfois importants, entre médicaments similaires qui présentent souvent une très faible plus-value thérapeutique par rapport aux médicaments déjà présents sur le marché. Si un tel dispositif peut encourager l'innovation, il favorise en revanche une prolifération de médicaments similaires". Il s'agit des fameux "me too", stratégie de contournement de l'industrie pharmaceutique lorsque le brevet d'une molécule tombe dans le domaine public...

L'évaluation de la seule "valeur ajoutée thérapeutique" n'est donc plus suffisante : il est grand temps de prendre en compte la valeur économique d'un médicament, c'est-à-dire son efficience (rapport entre son efficacité et son coût) en la comparant à celle des médicaments déjà disponibles. Cette valeur économique permettra de fixer un prix plus juste, mais aussi de faire varier la durée du brevet du médicament : plus longue s'il est réellement innovant et efficient, plus courte pour les "me too" (qui pourront ainsi être inscrits plus rapidement au répertoire des génériques).

Moins d'opacité, plus de transparence...

Toujours page 7 de la note de synthèse : "Si le prix des médicaments sous brevet est négocié entre le CEPS et les industries, les marges de manœuvre des autorités régulatrices sur la définition du prix sont, dans les faits, relativement ténues, au moins pour 3 raisons". Ces raisons sont les suivantes :
  • la négociation est déséquilibrée, seule l'industrie pharmaceutique disposant de toutes les données économiques (coûts, marges) et scientifiques (état de la recherche, éthique...) ;
  • les délais de prise de décision sont courts (15 jours pour s'opposer à la proposition de prix) : si cette situation favorise l'accès rapide à l'innovation, elle ne permet pas toujours de réunir tous les éléments nécessaires à la fixation du juste prix ;
  • une fois le prix fixé, toute modification prend beaucoup de temps.
Qui plus est, comme le précise très bien cette note de synthèse, le système est à la fois complexe et opaque, loin des exigences actuelles de transparence, notamment en termes de liens d'intérêts entre les différents acteurs.

Globalement, le commandant du bateau semble naviguer dans le brouillard sans système de guidage performant... La solution pourrait bien être européenne : harmonisation des méthodes d'évaluation, incluant plus de données économiques, sociales et éthiques sur l'usage des médicaments, et mutualisation accrue des données de négociation de prix entre les différents pays (à ce jour, les niveaux de prix sont très hétérogènes en Europe). L'association plus étroite des usagers, dans une optique de réelle démocratie sanitaire, pourrait également apporter plus de transparence.

Un vrai pilote dans l'avion, pour plus d'innovation

Données d'efficience et transparence accrue : les pouvoirs publics devraient ainsi être mieux informés pour fixer le juste prix (et la juste durée du brevet) des nouveaux médicaments. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Comme le souligne la conclusion de cette note (page 11), "le besoin d'un pilotage stratégique de l'innovation et de la recherche se fait ressentir". Ainsi "un des enjeux majeurs tient sans doute à une négociation plus ambitieuse avec les industriels qui porterait moins sur le prix que sur les secteurs d'innovation à promouvoir dans les années à venir".